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Guizot était revenu en France en juillet 1849. Il prit conscience, avec le cheminement de Louis-Napoléon Bonaparte vers l’Empire, qu’un retour dans la politique active était difficilement envisageable. Dès lors, il se consacra principalement aux travaux intellectuels durant le dernier quart de sa vie, et commença par renouer avec Pierre-Paul Didier, qui au fond s’était bien comporté à son égard depuis des lustres sans toujours être payé de retour. Sans doute les relations entre eux ne furent-elles jamais confiantes, Guizot affectant de traiter avec lui par l’intermédiaire de son ancien chef de cabinet et depuis lors homme à tout faire aussi bien qu’ami de la famille, Auguste Génie, dont la délicatesse n’égalait pas le dévouement. Didier ressentait péniblement de devoir quémander une lettre personnelle, voire, bien plus rarement, un rendez-vous avec son auteur. Cependant, à 63 ans, l’infatigable Guizot était décidé à clore les chantiers en cours, et à en ouvrir de nouveaux.
Tel est le sens de la convention signée avec Didier le 10 juillet 1850, portant en même temps sur pas moins de six ouvrages, certains déjà publiés en partie, d’autres restant à écrire. Le premier cité est une étude historique sur Monk, avec en sous-titre « Chute de la République et rétablissement de la monarchie en Angleterre, en 1660 ». Ce livre de 400 pages, destiné dans l’esprit de Didier à compléter l’Histoire de la révolution d’Angleterre que, comme on verra, il était bien décidé à récupérer, était la version développée et augmentée d’un article publié en 1837 dans la Revue française. La situation dans laquelle se trouvait la France en 1850 donnait à ce travail une actualité évidente, que l’auteur, dans une préface rédigée dès octobre, ne dissimulait pas : Louis-Napoléon Bonaparte resterait-il président d’une République française, ou rétablirait-il l’Empire[1] ? Aussi l’éditeur payait-il la somme considérable de 15 000 francs pour la propriété littéraire de ce livre, du reste réédité sept fois en différents formats jusqu’en 1874. Dans le même mouvement, mais pour 6 000 francs seulement, Didier se rendait acquéreur d’un volume d’Études biographiques sur la révolution d’Angleterre, composé des notices, revues et enrichies, rédigées pour la collection des Mémoires relatifs à la révolution d’Angleterre parus en 1823-1825, et complété par d’autres. Autre reprise, le cours d’histoire moderne de 1820-1822, publié en son temps à mesure qu’il était prononcé et sans correction du professeur par le Journal des cours publics, et racheté par Didier pour en faire deux volumes d’une Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe, revue et complétée par Guizot, moyennant 10 000 francs. Les deux volumes parurent en effet à la fin de 1851, non sans contestation car l’éditeur des Essais sur l’histoire de France du même Guizot, d’abord Jean-Louis Brière en 1823 puis Gervais Charpentier à partir de 1842 dans sa fameuse Collection in-18° à 3 francs 50, prétendit que la nouvelle édition du cours de 1820-1822 reprenait indûment des éléments des Essais, jusqu’à provoquer la confusion entre les deux ouvrages. Guizot s’en défendit énergiquement, plaidant qu’alors « il faudrait soutenir qu’un écrivain ne peut, ni traiter deux fois, dans des ouvrages différents, certaines parties d’un même sujet, ni citer lui-même, dans un de ses ouvrages, quelques passages de ce qu’il a écrit dans un autre ouvrage ; ce qui est évidemment insoutenable[2]. » Un procès s’ensuivit entre Brière et Didier, que ce dernier gagna mais non sans pertes ni frais. L’article 5 de la convention dispose également que « des morceaux divers déjà publiés dans certains recueils et dans certaines collections » (suit une énumération), à l’exclusion de toute œuvre politique, formeront la matière de « quatre volumes in-8° d’au moins cinq cents pages » pouvant chacun se vendre séparément sous un titre particulier, l’ensemble étant rémunéré 14 000 francs, ce qui est appréciable pour des textes déjà parus. On en aura fini de ce contrat-fleuve avec le projet, estimé à 15 000 francs, d’ « un écrit entièrement inédit ayant pour titre Ce que j’ai cherché pour mon pays, fragment de mémoires personnels, formant un volume de 300 pages indépendant, mais pouvant aussi servir d’introduction à une Collection des discours prononcés par M. Guizot devant les Chambres, avant le 24 février 1848, assortis de présentations, de textes de liaison et de notes, que Didier s’engage à éditer en quatre volumes. Cet article 2 sera annulé en 1861, et l’article 5 ne prendra effet qu’en partie, avec la publication en 1852 d’un seul volume de Méditations et études morales.
- « En 1837, elle [cette étude] avait un intérêt purement historique ; évidemment, elle en a un autre aujourd’hui. »↵
- Note inédite rédigée dans une première version le 16 août 1851, et dans une seconde, plus approfondie, le 3 septembre, certainement à destination de Didier. Dans sa préface datée de mai, Guizot signale qu’il s’est servi, pour réviser son cours, des Essais sur l’histoire de France. Ces derniers furent repris par Didier en 1857, dans le texte de 1823, et constamment réédités jusqu’en 1884.↵