On pourrait croire que François Guizot fut très tôt un familier de l’Angleterre où la plupart des jeunes gens distingués, sous la Restauration, accomplissaient un voyage initiatique. Or, il connut longtemps l’Angleterre sans l’avoir vue, publiant en particulier, en 1826-1827, les deux premiers volumes de son Histoire de la Révolution d’Angleterre sans y avoir mis les pieds. Ce n’est qu’à la fin de février 1840, à 52 ans, que Guizot franchit le Channel, désigné par le cabinet Soult pour représenter la France à Londres. Le nouvel ambassadeur, sans sa famille, arrive précédé par la réputation flatteuse que lui valent ses travaux sur l’Angleterre. Sa personne est aussitôt appréciée, « tant ses manières sont distinguées et agréables », écrit lady Palmerston, épouse du secrétaire du Foreign Office. A la résidence française de Hertford House, il donne ce qu’il faut de réceptions et de dîners diplomatiques. La jeune reine Victoria et l’ambassadeur d’âge mûr se font des grâces. Une nuit de juin, il la surprend en déshabillé dans une chambre du château de Windsor. Il découvre Westminster avec le grand historien Macaulay, visite le collège d’Eton et ses courses de bateaux sur la Tamise, assiste à l’office solennel à la cathédrale Saint-Paul au côté de l’évêque de Londres, s’exprime en français devant l’Académie royale des Beaux-Arts avec « l’immense succès qui suit partout M. Guizot à Londres », et en anglais chez le lord-maire, participe avec le prince Albert à un meeting contre la traite négrière « avec grand applaudissement à mon nom et à ma personne », et se risque même à jouer aux courses à Epsom. Il se lie enfin avec les représentants de cette aristocratie anglaise qui exerce sur lui une puissante séduction. A son départ fin octobre, la même lady Palmerston peut écrire : « Nous sommes profondément désolés de le perdre. Tout en lui révèle un gentleman, au sens le plus profond du terme. » Ces huit mois d’ambassade lui fourniront la matière de l’un des plus attachants chapitres de ses Mémoires.
C’est dans de tout autres conditions que Guizot retrouve Londres au début de mars 1848. Il est alors un exilé. Accueilli à son débarquement par sa proche amie Mrs Sarah Austin, il s’installe d’abord à Bryanston Square, où il retrouve ses enfants, puis à Brompton, alors dans la banlieue de Londres, au 21 Pelham Crescent, où sa mère le rejoint et décède le 31 mars. Elle est enterrée au cimetière de Kensal Green, où sa tombe se trouve encore. Rapidement, Guizot retrouve la société qu’il avait quittée en 1840 : Macaulay, Henry Hallam, Henry Reeve, lord Holland, et surtout son cher ami lord Aberdeen. Charles Greville, secrétaire du Conseil privé de la Reine, le décrit ainsi : « Il va partout, il est très en train, et fait bonne figure ; tout le monde est très poli avec lui, et il apprécie la bienveillance de cet accueil. » C’est à Brompton qu’il rédige deux ouvrages importants, De la démocratie en France, essai politique vigoureux, et Pourquoi la Révolution d’Angleterre a-t-elle réussi ?, étude historique qui n’est pas sans rapport avec l’actualité. L’université d’Oxford, où il est reçu triomphalement, lui propose sans succès de l’élire professeur.
De retour en France en juillet 1849, Guizot reviendra à plusieurs reprises en Angleterre, visitant notamment, en 1851, l’Exposition universelle de Londres à Crystal Palace. Il y vérifie chaque fois son attachement pour la société britannique, qui lui avait valu, au temps de la première Entente cordiale, le sobriquet de « Lord Guizot ». Quelques mois avant sa mort, il écrivait : « Je vis aussi en Angleterre. C’est beaucoup d’avoir deux vies et presque deux patries. » Une plaque commémorative a été récemment apposée sur sa maison d’exil.