A Saint-Ouen-le-Pin, sur l’encadrement un peu « georgien » de la porte de l’école, une plaque…
ÉCOLE GUIZOT
Il y a quelques année, lorsqu’Olivier Bardot était encore l’instituteur de Saint-Ouen, sa classe avait conservé le décor d’autrefois, le même depuis 1852, quand M. Guizot offrit cette maison spacieuse à la commune pour y installer l’école.
Minute d’une lettre de M. Guizot à M. Letavernier, maire (8 novembre 1852)
La salle ressemblait à un temple, avec cette sorte de dépouillement ordonné et exact. Le maître « officiait » derrière un pupitre élevé, mi-chaire, mi-lutrin, dominant l’assemblée d’une estrade, avec un double escalier… sous le portrait dédicacé – une gravure d’après Delaroche – du bienfaiteur tutélaire et vigilant. Le mobilier : les tableaux comme ceux des hymnes, les instruments pédagogiques avaient ce caractère de simplicité sévère… les tables-bancs, l’allure de stalles. Scellées aux murs comme des litres, des plaques en l’honneur de membres de l’illustre famille.
Plan de l’école de Saint-Ouen-le-Pin
Curieux et émouvant reflet, à la mesure d’une commune rurale, de la Loi du 28 juin 1833 sur l’Instruction primaire… la Loi Guizot…
Rappeler les principes de ces textes : obligation pour toute commune d’ouvrir une école de garçons, de fournir à l’instituteur local pour recevoir les élèves et pour sa propre habitation. Traitement annuel fixe de 200 francs minimum, rétribution scolaire acquittée en sus par les parents non-indigents. Création aux frais du département d’une École Normale pour la formation des maîtres.
Cohérente et efficace, la Monarchie de Juillet doit à Guizot sa plus belle réalisation… et la plus durable.
Sans doute perçoit-on ce mélange, assez protestant, de religiosité, d’ambition, de pragmatisme, de candeur, d’obstination, d’intérêt. Le protestant a toujours cru aux capacités humaines, à l’éducation pour façonner les êtres. Religion du Livre, le protestantisme a privilégié la connaissance et la méditation par la lecture… Un style prud’hommesque ? faire fleurir la raison, délivrer de la jalousie, de la vanité, de la peur… et bien sûr ! apprendre au peuple le respect des lois, l’amour de l’ordre, la rédemption au travail… Chez Guizot la préoccupation est plus élevée, l’idéal plus noble : Assurer la promotion et le bonheur du peuple… « Rien qui ne soit conforme aux préceptes de l’église ou utile à répandre »… dit la lettre ci-dessus. La poursuite du bonheur c’est « éclairer l’âme », la fortifier dans l’accomplissement des devoirs ordinaires, face aux inévitables épreuves en ce monde, avant l’ultime récompense.
M. Guizot fit mieux : il voulut expliquer, convaincre, aider. À tous les maîtres d’école, isolés dans les campagnes souvent hostiles, indifférentes ; souffre-douleurs ignorés et pauvres, soupçonnant à peine l’existence de leur Ministre, il s’adressa personnellement… Pour la première fois la reconnaissance de leur existence et de leur dignité : « Monsieur… »
Rien en Guizot qui fût jamais mesquin, petit, bas, sans honnêteté, sans foi.
Inscription au dos : Monsieur Tabourel premier instituteur de St Ouen le Pin. Anonyme, tirage photographique contrecollé sur carton (17,3X16cm) datant de 1850-1860.
« L’homme essaie de se transformer en bourgeois. Il possède le savoir intellectuel et son attitude un peu raide en est le signe visible ; il veut paraître et sa chaîne de montre, son beau costume en sont les signes visibles. Guizot avait sa pelisse de fourrure, Tabourel sa chaîne de montre. Chacun expose ce qu’il juge être le plus convaincant pour l’image qu’il veut donner de lui-même. » Commentaire de Jean Bergeret.
La commune était avant l’intervention de Guizot, rattachée pour l’enseignement à Saint-Aubin-sur-Algot. M. Tabourel était originaire de Port-en-Bessin. « Chrétien exemplaire », comme le souhaitait Guizot, c’était, en 1852, écrit le chanoine Simon (La Bonne Semence, oct.1939) : « un grand jeune homme, visage intelligent et bienveillant ». Consciencieux et compétent, moderne et inventif, selon l’Annuaire du Calvados (1865) : « l’instituteur Tabourel sait promptement initier les commerçants à la prononciation et à l’orthographe par l’heureux emploi qu’il fait des tableaux et des lettres mobiles… »
En janvier 1867, il épouse à Rusmenil, l’institutrice, sœur du curé. La messe fut célébrée par l’abbé Valbrun, curé de Saint-Ouen… M. Guizot et sa famille assistèrent à la cérémonie et, selon l’usage, ajoutèrent leur paraphe à la suite… On peut déchiffrer la signature de Guizot, celles de C. De Witt, Guizot de Witt, Pauline de Witt, Robert de W., Jeanne de W., Pierre de W. Il y eut une petite fête à l’école, les enfants offrirent des fleurs, on distribua des dragées en abondance.
Le ménage eut un fils qui devint prêtre et mourut, vers la fin de l’autre guerre, curé de Coquainvilliers.
L’article du chanoine Simon n’échappa pas à un illustre abonné de La Bonne Semence, moins convaincu de l’efficacité des procédés du vieil instituteur : Jean Schlumberger ! Ce qui nous vaut l’éloge, le plus inattendu, amusé et touchant : « Moi aussi je fus l’élève de cet excellent M. Tabourel, dont vous avez bien raison d’évoquer le souvenir. Il m’a fait tracer mes premiers bâtons avec une pose archaïque de la main et du porte-plume qui rendaient l’écriture à peu près impossible. Pendant nos vacances et les siennes, il venait chaque matin au Val-Richer. C’était un bien brave homme. »
P.-J. P
Article issu du numéro spécial – Association « Le pays d’Auge », Août-Septembre 1987, « M. Guizot et le Val-Richer », p63.