Des deux femmes qui connurent le mieux François Guizot, la première, Pauline de Meulan, lui écrivait en juillet 1808, avant même qu’il l’épouse : « Votre talent me paraît éminemment propre à l’histoire. » ; et la même année ils entreprenaient ensemble une nouvelle édition en français du grand livre d’Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, qui fut le premier travail historique de Guizot, à vingt ans. La seconde, sa fille Henriette, lui disait en février 1874, quelques mois avant sa mort : « L’histoire est votre vraie passion » ; et ensemble ils achevaient alors le quatrième volume de l’Histoire de France racontée à mes petits-enfants, qui fut son dernier ouvrage. Ainsi la carrière d’historien de Guizot couvre-t-elle plus de soixante-cinq ans, jalonnée de nombreuses publications qui firent date et dont certaines conservent une véritable valeur scientifique, principalement l’Histoire de la civilisation en Europe et l’Histoire de la Révolution d’Angleterre, auxquelles s’ajoutent, sur un autre plan, les huit volumes des Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, qui appartiennent à la catégorie prestigieuse et peu fournie des grands Mémoires d’État, entre le Testament politique de Richelieu et les Mémoires de guerre du général de Gaulle.
Rien ne destinait le jeune François Guizot à la profession d’historien. Un heureux concours de circonstances lui valut d’être nommé, en juillet 1812, professeur d’histoire moderne à la faculté des lettres de Paris, un poste qui n’existait pas jusque là. Si l’édition de Gibbon, achevée cette année-là, l’avait fait connaître des milieux académiques, il n’avait pas étudié spécialement l’histoire, laquelle n’était d’ailleurs pas encore constituée en discipline scolaire : c’est en 1818 seulement que Royer-Collard créa la première chaire d’histoire dans l’enseignement secondaire. Reste qu’il avait trouvé sa voie : quinze ans plus tard, il était reconnu comme le plus grand professeur d’histoire et comme l’un des meilleurs historiens de son temps.