Guizot et l’esclavage

Article écrit par Jean Bergeret (2020)

Contexte historique

« Ce ne furent ni les facteurs économiques, ni la résistance des esclaves eux-mêmes qui amenèrent l’abolition définitive de l’esclavage dans les anciennes colonies françaises, mais bien le développement au cours de la monarchie de Juillet d’une culture abolitionniste qui réalisa ses buts dès que la Révolution de 1848 eut renversé le régime orléaniste.

Prudent et graduelliste pendant les années 1830, le mouvement abolitionniste français commença à se tourner vers l’immédiatisme dans les années 1840, quand il s’avéra que le gouvernement ne permettrait qu’une émancipation très lointaine, et put enfin libérer les 250 000 esclaves des colonies françaises après que la révolution eut balayé la monarchie. »

Texte tiré de :

Jennings Lawrence C. Le second mouvement pour l’abolition de l’esclavage colonial français. In: Outre-mers, tome 89, n°336-337, 2e semestre 2002. traites et esclavages : vieux problèmes, nouvelles perspectives ? ,pp. 177-191.


Illustration extraite de Guizot, The history of Civilization, vol. 1, Londres, 1846

« Avant que n’éclate la Révolution en France, l’Angleterre et la France pratiquaient toutes deux la traite des Noirs. Au début du XIXe siècle, l’Angleterre, devenue abolitionniste, supprime la traite, en 1807, puis l’esclavage, en 1833. En France, l’évolution des mentalités est moins rapide ; si l’esclavage avait été aboli par la Convention en 1794 en France, Bonaparte le rétablit en 1802, ainsi que la traite, implicitement. Louis XVIII interdit celle-ci en 1818 mais reste partisan de mesures progressives ; de ce fait, les armateurs français poursuivent la traite. Plusieurs lois abolitionnistes seront nécessaires pour décourager ce trafic illégal.


Commandant Labillardière, Atlas pour servir à la relation du voyage à la recherche de La Pérouse,  Paris, An VIII de la République.
La légende donne une perception, assez négative,  d’un homme des Îles de l’Amirauté

L’Angleterre, championne de l’abolition de la traite, mène une action internationale pour purger les côtes de l’Afrique des trafiquants d’esclaves. Elle passe des conventions avec divers pays et utilise le droit de visite, pour contraindre les navires à les respecter. La France organise aussi peu à peu une surveillance des côtes d’Afrique par sa marine.

Peu après l’avènement de Louis-Philippe, une convention bilatérale est passée avec l’Angleterre pour coordonner la surveillance des côtes de l’Afrique en exerçant un droit de visite réciproque (1831 et 1833). La France est le seul pays à participer avec sa marine à la répression du trafic négrier. Les navires de l’Angleterre se déploient, à partir du Sierra Leone, pour contrôler les foyers négriers du Bénin et du Golfe de Guinée. Les navires français sont basés à Saint-Louis du Sénégal et à Gorée. Des commissions mixtes sont chargées de juger sans appel les négriers saisis par les croisières de répression. Cette action concertée permet une régression sensible de la traite, à partir de 1840.

Mais la France de Louis-Philippe, qui n’a pas encore aboli l’esclavage, reste avant tout soucieuse de ne pas apparaître à la remorque de l’Angleterre. Une « crise du droit de visite » agite bientôt la vie politique. L’orgueil national est attisé par une lutte de pouvoir entre Adolphe Thiers, écarté des Affaires étrangères en raison de sa politique aventureuse contre l’Angleterre, et François Guizot, son remplaçant au ministère. Lorsque Guizot tente de mettre à jour la convention avec l’Angleterre, en décembre 1841, des mois de débats parlementaires et de multiples articles dans la presse, orchestrés par Thiers, empêchent sa ratification.

La visite des bateaux français par la marine anglaise, suscite en France un antagonisme viscéral contre l’Angleterre, renforcé par diverses affaires montées en épingle, telle la saisie par les Anglais, en 1839, de la Sénégambie, qui transportait non des captifs mais des travailleurs engagés pour Cayenne.

En réalité, les deux marines ne saisissent plus de captifs noirs sur les navires français car la traite française n’existe plus. Le droit de visite qui enflamme l’opinion française n’a plus de raison d’être en 1844. La traite a pris des voies plus complexes, sous d’autres pavillons. »

Texte de Luce-Marie Albigès, avril 2007. Site de l’Histoire par l’image.

En France

Une Société pour l’abolition de l’esclavage est créée en 1834. Elle se dissout en 1848 au moment de l‘abolition de l’esclavage en France. Les membres fondateurs sont des amis de Guizot : Victor de Broglie, Charles de Rémusat, Agénor de Gasparin, etc.. Guizot n’en fait pas partie, comme d’ailleurs il n’appartient pas aux membres associés, semble-t-il.

Mais le 13 février 1838, la Chambre des députés, après de nombreuses tentatives infructueuses de la part des abolitionnistes, discute d’une nouvelle proposition et Guizot est le président de la commission chargée de l’examiner.

Charles de Rémusat présente le rapport de la commission à la Chambre des députés le 18 juin 1838. Mais au lieu d’une abolition uniquement en faveur des enfants à naître, ce qui aboutirait à une abolition lente et amènerait « d’envieuses rivalités, la commission, après avoir rappelé qu’il y avait 258.956 esclaves dans les colonies françaises, indique qu’elle souhaite une émancipation de masse, elle propose toutefois d’attendre 1840 pour juger pleinement l’expérience britannique et indique qu’en attendant il convenait de voter des mesures préparatoires à l’émancipation (pécule, rachat, éducation religieuse).

Le roi dissout la chambre en 1839. Le projet de loi n’aboutit pas.

Premier congrès international en faveur de l’abolition de l’esclavage

A cette convention, assistait François-André Isambert, membre de la Société française pour l’abolition de l’esclavage :

« Lorsque M. Isambert entre dans la salle, accompagné de M. Dussailly et de M. Hauré, membres de la Société française, il vint prendre sa place à la droite du fauteuil réservé au président. La députation française fut accueillie par de grandes acclamations. Il en fut de même lors de l’entrée de l’ambassadeur de France, M. Guizot. À côté des députés français se trouvait placée Mme la duchesse de Sutherland, S.A.R. le duc de Sussex et M. O’Connel furent accueillis par des tonnerres d’applaudissements. » 


Haydon Benjamin Robert (1786-1846), The anti-slavery society Convention, 1840.
Huile sur toile, coll. National Gallery, Londres

La Monarchie de Juillet a tergiversé pour l’abolition de l’esclavage, malgré de multiples appels de la société française. Elle fut promulguée par un gouvernement provisoire constituée de onze personnes, dont cinq étaient membres de la Société française pour l’abolition de l’esclavage : François Arago, Adolphe Crémieux, Alphonse de Lamartine, Louis Blanc et Alexandre Ledru-Rollin.

Rôle de Guizot

Guizot était contre l’esclavage.

« Guizot fit partie de la Société de la morale chrétienne, «  société où les protestants sont nombreux et à laquelle appartient la fleur de l’opposition libérale [est à] vocation philosophique et philanthro-pique, en pointe dans la lutte contre la peine de mort en matière politique et la traite négrière, pour l’amélioration de la condition pénitentiaire et pour l’émancipation des Grecs – autant de convictions auxquelles Guizot restera toujours attaché … La principale contribution de Guizot semble avoir consisté d’efforts soutenus, lorsqu’il était ambassadeur en Grande Bretagne, pour faire signer un traité international autorisant l’abordage des bâtiments appartenant aux nations participatives afin de vérifier qu’ils ne transportaient pas une cargaison humaine.

Lors de débats à la Chambre des députés en 1841, Guizot défendit ardemment le traité à signer entre S. M. le roi des Français et S. M. la reine du royaume uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, les deux pays s’engageant à continuer d’interdire .. toute traite des noirs dans les colonies qu’elles possèdent.

Ses talents de négociateur et d’orateur préparaient le terrain pour l’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies françaises de 1848, pour laquelle le principal mérite est attribué à Schœlcher. L’espoir de François Guizot que son nom soit associé avec tous ceux qui luttaient pour l’abolition de l’esclavage et de la traite a jusqu’ici été déçu. »

Texte tiré du site guizot.com


Pingret, Voyage de S.M. Louis-Philippe Ier au château de Windsor. Paris, Londres, 1846
Coll. Val-Richer.
Louis-Philippe, la reine Victoria et le prince Albert dans un wagon du train royal.