Jean-Jacques Guizot
De deux ans tout juste le cadet de François, Jean-Jacques Guizot, qui devait son prénom à son grand-père maternel beaucoup plus qu’à Rousseau, vécut dans l’ombre de son frère, dont il n’avait ni la vigueur d’esprit ni le tempérament conquérant. Tous deux, élevés et grandis ensemble, s’entendaient parfaitement. Décrit comme léger, fantasque et généreux, il fut toujours protégé par son aîné. « Tu sais comme je l’aime », écrit Guizot à sa mère en 1809, « il n’est rien que je ne fisse pour lui. Je le regarde comme mon enfant. » Précisément, Jean-Jacques vivait alors à Nîmes avec sa mère chez les grands-parents Bonicel et, à vingt ans, ne faisait rien de bon, allant même jusqu’à se laisser pousser la barbe. Pour le sortir de là, Guizot lui trouve, en 1812, un poste à la Régie des tabacs.
Il s’installe alors à Paris, et, dépourvu de jalousie, s’extasie sur les succès de François : « Sa place à la chaire d’histoire est assurée. M. de Fontanes le traite avec une grande distinction, tout le monde l’honore, ce n’est qu’un même murmure autour de lui. »
Dès lors, il ne quitte plus son frère, qui le place en 1815 au bureau des subsistances au ministère de l’Intérieur, puis le propulse, en 1819, sous-préfet de Saverne, et en 1820 de Marvejols. Révoqué en 1823 par la réaction ultra, il seconde son frère dans ses travaux d’édition et de traduction, car il lit l’anglais et l’allemand.
Il est attentif auprès de son neveu et filleul François, très attaché à lui. En 1826, il épouse Amélie Vincens, issue d’une très bonne famille protestante nîmoise, dont les oncles furent députés du Gard l’un à la Législative, l’autre pendant les Cent Jours, et dont le père Émile fit une belle carrière au ministère du Commerce et au Conseil d’État. Sitôt la révolution de Juillet, François prend son frère avec lui au ministère de l’Intérieur comme chef du personnel puis le met, avec la Légion d’honneur, au Conseil d’État comme maître des requêtes. Le futur maréchal de Castellane le croque ainsi : « C’était un brave garçon, petit et laid et bien ridicule. On ne l’appelait jamais que ‘J.-J.’ »
Après la mort de sa femme Éliza en 1833, Guizot s’appuya beaucoup sur Jean-Jacques et Amélie, qui n’avaient pas d’enfant et s’occupaient beaucoup des siens. Mais Jean-Jacques mourut le 25 février 1835, et Amélie dix-huit mois plus tard. Guizot ressentit durement cette disparition. Allant dîner chez Émile Vincens en septembre 1837, il écrit à sa mère : « Je n’entre jamais dans cette maison sans un serrement de cœur si amer ! Nous avions là deux créatures qui nous étaient si profondément attachées, dévouées, à vous, à moi, à mes enfants ! Et je ne puis aller prendre là mon pauvre frère, ni la bonne Amélie pour les emmener avec moi à la campagne! » Ils faisaient désormais partie de ces chers disparus qui occupèrent le cœur et la mémoire de Guizot jusqu’à la fin de sa vie.