Guizot écrivait à sa mère en 1808 : « Je ne te parle presque jamais de mon père (…) Si tu savais comme son souvenir m’est toujours présent, comme je m’en occupe sans cesse. » Quel souvenir ? Il n’avait pas sept ans à la mort d’André Guizot. La veille de l’exécution son oncle l’a conduit, lui et son frère Jean-Jacques, dans le cachot pour une dernière visite. Cette scène, où l’émotion céda devant la crainte, devint emblématique dans la famille.
André François Guizot était né en 1766 à Nîmes, issu d’une famille de marchands manufacturiers dans le textile, enracinée depuis le XVIe siècle au moins à Saint-Geniès-de-Malgloirès, à quelques kilomètres au nord-est de Nîmes, où des cousins résidaient toujours. L’un deux, très éloigné, Louis Guizot, fut même élu maire de la commune en 1790. C’est là qu’était né son père Jean Guizot, qui devint pasteur « au Désert », dans l’Église réformée alors clandestine, et dont le pasteur Paul Rabaut avait béni en 1761, à Nîmes, le mariage avec Henriette de Gignoux, elle-même de souche calviniste cévenole. André Guizot n’a pas connu son père, mort quelques semaines avant sa naissance, et perdit sa mère quand il avait quinze ans. Son frère Pierre Guillaume, de trois ans son aîné, lui fut en revanche très proche, et l’accompagna jusqu’à ses derniers moments. D’André Guizot ne subsiste aucun portrait, et très peu de documents. Il dut faire de bonnes études de droit, puisqu’il fut reçu avocat en 1786. Il s’est déjà constitué une bibliothèque assez fournie typique d’un jeune bourgeois cultivé et d’esprit ouvert, sensible à l’air du temps. Son mariage le 27 décembre à Nîmes avec Élisabeth Sophie Bonicel, béni par le pasteur Gachon, ne fut légalisé qu’en mai 1788, en même temps que la naissance de leur fils François, sous l’effet de l’édit de Tolérance. Entretenu d’abord par son beau-père, le jeune avocat commence à prospérer en 1791, grâce à sa réputation de sérieux et surtout d’éloquence. Il achète quelques terres, et aussi la maison de la rue Caguensol dans laquelle il vit avec sa famille. Surtout, il s’engage résolument, tout comme son beau-père Bonicel et nombre de bourgeois protestants nîmois, en faveur de la Révolution. Mais André Guizot, orateur enflammé, milite avec ardeur dans le mouvement fédéraliste girondin, tandis que Bonicel, procureur général du Gard, tient pour le jacobinisme. La Terreur parisienne trouva son prolongement à Nîmes et André Guizot fut décrété d’arrestation en octobre 1793. Il resta caché chez lui jusqu’au 14 janvier 1794, avec son plus proche ami Antoine Chabaud-Latour, puis dut s’enfuir dans la campagne, passant d’une maison à l’autre, tentant enfin de gagner Genève. Il fut reconnu non loin de Remoulins, renvoyé à Nîmes le 6 avril, et emprisonné. Hors la loi et donc promis à l’échafaud, il comptait pourtant sur l’influence de son beau-père et sur sa propre éloquence pour se tirer d’affaire. Il n’eut en fait qu’à répondre à un interrogatoire d’identité et à entendre la sentence de mort, le 8 avril au matin. Il se tourna alors vers ses juges, qu’il connaissait pour la plupart : « Je vais subir un supplice que je n’ai pas mérité, mais tout déplorable que soit mon état, je le préfère au vôtre, scélérats que vous êtes, car dans peu de temps vous serez déchirés par le même peuple qui m’écoute. » Il fut guillotiné en début d’après-midi. Dans son dernier message à sa femme, il écrivit sa propre épitaphe : « J’ai pu commettre des fautes, quel homme en est exempt ! J’ose dire que je n’eus point de vice ; j’étais honnête homme, j’étais bon citoyen, je ne voulais que le bonheur de ma patrie ; j’étais bon ami, bon frère, bon père, bon époux. » De lui, son fils François ne conservait que quelques lettres.