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Le premier livre portant le nom de François Guizot a fait l’objet d’une convention signée le 15 mars 1808 avec le libraire Claude François Maradan (1762-1823), qui tient boutique au 9 de la rue des Grands Augustins à Paris. Il s’agit du Dictionnaire universel des synonymes de la langue française, publication déjà ancienne dont Maradan s’est rendu propriétaire et veut « donner à cet ouvrage toute la perfection dont il est susceptible » en lui adjoignant « une introduction d’une certaine étendue » et en introduisant de nouveaux synonymes, « le tout devant former environ 200 à 250 pages d’augmentation dans la nouvelle édition. » Pour ce travail purement alimentaire, qui doit être et sera en effet achevé au 1er janvier 1809, Guizot dénommé « l’auteur » recevra 1 800 francs, moitié comptant à mesure de la livraison de chacun des trois volumes – en fait réduits à deux -, moitié par versements mensuels de 100 francs à partir du premier mois suivant la fin de l’impression. La somme est loin d’être négligeable pour un débutant de 20 ans. Il est vrai qu’il bénéficie de la caution et du soutien de la romancière et essayiste Pauline de Meulan, sa future femme, qui est en rapports éditoriaux avec Maradan depuis au moins dix ans. Neuf éditions du Nouveau dictionnaire universel se succéderont jusqu’en 1885. Maradan publia encore, outre la nouvelle édition de Gibbon en 13 volumes dont le contrat, incluant Pauline de Meulan, avait été conclu en octobre 1808 pour une rémunération de 5 400 francs[1], trois ouvrages de Guizot jusqu’en 1816, dont les contrats ne nous sont pas parvenus.
Ceux de 1808 comportaient une rémunération purement forfaitaire, sans tenir compte ni des ventes ni même des réimpressions que pourrait entraîner un succès, dont le bénéfice reviendrait exclusivement à l’éditeur. Sur ce point, l’accord signé le 31 mars 1812 avec Frédéric Schoell (1766-1833), un Allemand installé à Paris en 1802 au 29 rue des Fossés-Saint-Germain l’Auxerrois, défend mieux les intérêts de l’auteur, désormais installé dans le monde des lettres. Pour trois volumes de Vies des poètes français du siècle de Louis XIV, dont le premier tirage s’élèvera à 1 500 exemplaires, l’auteur touchera 3 600 francs. Comme souvent au XIXe siècle, la vente prendra la forme de livraisons, ici douze d’environ cent pages chacune livrables chaque mois à partir d’octobre 1812. 150 francs seront versés à la remise de chaque manuscrit, et 150 six mois après. Clauses qui n’apparaissaient pas dans les précédents accords conservés, l’auteur recevra vingt exemplaires gratuits et, surtout, chaque nouvelle édition, au même tirage, sera rémunérée 1 800 francs, en trois échéances. Le rapport entre éditeur et auteur se trouvait ainsi plus équilibré. Guizot ne perçut jamais la totalité des sommes fixées, car seul parut, en 1813, le premier volume, consacré à Corneille, Chapelain, Rotrou et Scarron, les trois derniers étant traités par Pauline de Meulan, et signés de ses seules initiales à la différence de Corneille. Autre innovation qui ne restera pas sans suite, Guizot, jeune marié décidément en mal de revenus, lorsqu’il contracta en juillet de la même année 1812 avec Johann Friedrich von Cotta (1764-1832), héritier d’une vieille lignée de libraires établie à Stuttgart, pour une révision du Nouveau dictionnaire complet à l’usage des Allemands et des Français de l’abbé Mozin, demanda à être payé en ouvrages allemands à hauteur de mille francs, sur les six mille prévus. Ainsi encore, la convention passée le 30 octobre 1820 avec le libraire Alexandre Lequien, sis 25 rue des Noyers, pour une nouvelle édition en trente tomes des œuvres de Rollin assortie de notes de Guizot qui vient d’être révoqué du Conseil d’État et entre dans l’opposition, comporte, outre une rétribution de 4 000 francs en dix échéances, un exemplaire des œuvres de Voltaire en 70 volumes alors en cours de publication, et de même pour 20 volumes de Rousseau à venir ; ou de la façon de se constituer un fonds de bibliothèque.
Les nombreux contrats signés par Guizot dans cette période si féconde de la deuxième partie de la Restauration ne figurent pas dans les archives Guizot ; ainsi des trois essais et pamphlets politiques parus chez Ladvocat, et un quatrième chez Béchet, des deux énormes entreprises, respectivement chez Brière et Béchet, des Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, en 30 volumes, et Collection des mémoires relatifs à la Révolution d’Angleterre, en 25 volumes, démarrées toutes deux en 1823, ou encore des deux premiers volumes de l’Histoire de la Révolution d’Angleterre, chez Leroux et Chantepie. Aussi n’est-ce que par un contrat signé le 14 août 1838 avec Charles Gosselin (1792-1859), demeurant 9 rue Saint-Germain-des-Prés, éditeur de Lamartine, Vigny, Balzac et autres célébrités, que nous prenons la mesure de changements intervenus dans les pratiques éditoriales. Ainsi sont explicitement mentionnés non seulement les exemplaires destinés à l’auteur, mais aussi ceux adressés aux journaux, témoignage de l’importance croissante du rôle de la presse dans le lancement d’un ouvrage. S’y ajoute le « 13e gratuit » : lorsqu’un libraire commande douze exemplaires, un treizième lui est offert par l’éditeur à titre de geste commercial. L’ensemble de ces exemplaires hors commerce, sur lesquels l’auteur ne perçoit aucune rémunération, est fixé au pourcentage considérable de 200 pour 1 000. De plus, l’ouvrage sera tiré en deux formats, in-8° et in-12°, respectivement à 2 000 et 2 500 exemplaires rémunérés deux francs chacun pour les premiers et cinquante centimes pour les seconds à la mise en vente. Pour lutter à l’étranger contre les contrefaçons, fléau grandissant principalement en Belgique, pays francophone apparu depuis huit ans seulement sur la carte politique de l’Europe, l’éditeur envisage des tirages supplémentaires portant la mention « édition spéciale », non commercialisables en France, payés 40 et 20 centimes à l’auteur selon le format. Les droits d’exploitation, est-il précisé, sont concédés pour cinq ans à compter de la publication de l’ouvrage, dont l’auteur recevra cinquante exemplaires gratuits. Ce contrat, signé par Guizot dans un des rares intervalles entre ses ministères durant la monarchie de Juillet, et portant sur une Histoire de France pour l’éducation de ses enfants en quatre ou six gros volumes, ne prit jamais effet chez Gosselin[2]. Mais il renseigne sur le perfectionnement du droit des contrats, avec l’introduction de clauses plus précises et davantage protectrices des intérêts des deux parties, et tenant mieux compte aussi des enjeux économiques.
- Publiée en 1812, cette édition fut réimprimée en 1819 et en 1828.↵
- En revanche Guizot édita chez Gosselin, en 1840, la traduction en six volumes de Vie, correspondance et écrits de George Washington. La substantielle introduction qu’il donna à cet ensemble fut rééditée à part, chez le même Gosselin, soi-disant « éditeur de la bibliothèque de l’élite », en 1842.↵