« Demain, écrit Guizot le 11 août 1836 à sa fille Henriette, je sortirai dès que je serai levé pour aller voir, à trois lieues de Lisieux, une petite terre qu’on me propose d’acheter.
La maison est une ancienne abbaye, grande, bien bâtie et assez bien arrangée ; il y a de beaux bois tout autour, une source à côté de la maison, et un fort ruisseau qui traverse les prés. Cette terre s’appelle le Val-Richer. »
Député de Lisieux depuis janvier 1830, Guizot avait tardé à s’installer au milieu de ses électeurs. Il souhaitait aussi s’établir dans un domaine familial, où séjourner avec ses quatre enfants dont l’aîné, François, avait 21 ans et serait capable de s’en occuper. Ce domaine est situé dans l’arrondissement de Pont-l’Évêque, le canton de Cambremer et la commune de Saint-Ouen-le-Pin. De l’abbaye cistercienne fondée par Nivard, frère de saint Bernard, et où séjourna probablement Thomas Becket en 1170, ne demeure que le logis de l’abbé, reconstruit au milieu du XVIIIe siècle, et en vérité délabré. Guizot l’achète, avec ses 175 hectares de terres et bois, pour 85 000 francs.
Dix ans durant, aidé par sa belle-sœur Aline de Meulan, il consacre beaucoup de ses modestes revenus à la rénovation et à l’embellissement de la maison et du jardin. Il se prend d’un vif intérêt pour les arbres, fruitiers en particulier, pour les fleurs et les pièces d’eau. « Je voudrais, écrit-il en 1840, que le Val-Richer devînt célèbre en fait de fleurs par le luxe des roses ou des dahlias, en fait de fruits par l’excellence des cerises et des pommes. » Naturellement, il réserve tous ses soins à l’aménagement de sa grande bibliothèque dans le corridor du premier étage, au bout duquel se trouvent son cabinet de travail, peu à peu tapissé des portraits des êtres chers, et sa petite chambre d’un ascétisme tout monastique, ou calviniste.
Au fronton de la cour intérieure se lit la devise adoptée par Guizot : « Omnium recta brevissima » (le droit chemin est le plus court de tous), qui figure aussi sur son portefeuille ministériel et qui en effet le caractérise bien. Dans cette solitude très animée, Guizot se plaît : « Je passe une bonne partie de ma journée à regarder la nature qui m’entoure, et je me sens devenir aussi tranquille qu’elle. Ce lieu est vraiment beau, d’une beauté riante et sauvage. »
A partir de 1849, Guizot y séjourne plus régulièrement, environ la moitié de l’année, entouré d’une famille qui s’accroît et où il pratique l’art d’être grand-père, tout en travaillant à ses livres. En 1855, sa fille Henriette et son mari Conrad de Witt s’installent à plein temps et gère le domaine. En 1854, un des nombreux visiteurs fait part de ses impressions : « Ce Val-Richer est des plus agréables. C’est la retraite de M. Guizot selon les règles de l’Idéal… Une vie réglée ; un grand courant d’idées ; une politesse aimable et tranquille ; enfin un charmant oasis intellectuel dans ces vallées un peu rudes de mœurs de la Normandie. »
Le Val-Richer, dont le nom est désormais bien connu de la société parisienne et étrangère, est en effet devenu ce point de ralliement familial et amical désiré par Guizot. C’est là qu’il meurt le 12 septembre 1874, entouré des siens. Il est enterré à deux pas, dans la concession familiale du cimetière de Saint-Ouen-le-Pin, au milieu de quelques-uns de ses proches.