1. L’instruction publique
Guizot restera ainsi ministre de l’Instruction publique presque continûment pendant près de cinq ans, et n’aura pas de rival à ce poste tout au long du XIXe siècle, et même plus tard, à l’exception de Jules Ferry. Son titre majeur à la postérité est la loi du 28 juin 1833 qui fonde véritablement l’instruction primaire publique, avec l’obligation d’ouvrir une école dans chaque commune et une école normale d’instituteurs dans chaque département, et la création du corps de l’inspection primaire. Guizot donna aussi une impulsion considérable aux études historiques et à la mise en valeur du patrimoine national. Cette période faste de sa vie politique fut assombrie par des malheurs personnels. En mars 1833, il perdit sa seconde épouse Eliza Dillon , et le 15 février 1837 mourut à 21 ans le fils qu’il avait eue de Pauline de Meulan, François, et pour lequel il avait acheté, en août 1836, le domaine du Val-Richer, dans sa circonscription de Lisieux. Le 15 avril 1837, Guizot quitte le cabinet pour cause de mésentente et de rivalité croissante avec son chef Mathieu Molé, contre lequel il mène bientôt une guérilla parlementaire au sein d’une coalition contre nature regroupant Adolphe Thiers, du centre gauche, et Odilon Barrot, de la gauche dynastique.
2. Les affaires étrangères
Devenu encombrant, Guizot est nommé en février 1840 ambassadeur à Londres, où il fait forte impression mais ne peut éviter à la France, dans la crise turque qui sévit alors, un certain isolement diplomatique. Thiers, alors président du Conseil, étant jugé par le Roi trop belliciste à l’égard de l’Angleterre, est remplacé par le maréchal Soult à la tête d’un cabinet nettement conservateur dans lequel Guizot reçoit les Affaires étrangères et est en fait le principal ministre, en raison de ses puissantes capacités et aussi de son exceptionnel talent oratoire. Il détient ce portefeuille 88 mois d’affilée, record jusqu’aujourd’hui inégalé dans ce poste. Ordre et prospérité au-dedans, paix au-dehors furent les piliers de sa politique, en plein accord avec Louis-Philippe qui se sentait compris et protégé par ce ministre infatigable et inébranlable, y compris dans son conservatisme. Avec l’Angleterre, principale rivale de la France en Europe, fut établie de 1841 à 1846, grâce à l’amitié nouée avec son collègue Aberdeen, une « entente cordiale » qui permit de surmonter des crises dont les plus graves furent celles de Tahiti, du droit de visite maritime et de l’intervention française au Maroc, et de faire accepter à Londres la mainmise de la France sur l’Algérie, dont la conquête est achevée en 1847. Le remplacement, en juillet 1846, d’Aberdeen par Palmerston, hostile à la France en général et à Guizot en particulier, mit fin à cette entente, et l’affaire des mariages espagnols, qui fut un succès pour le ministre français aux dépens de l’Angleterre, provoqua une vive tension entre les deux pays. Guizot parut alors se tourner alors davantage vers les puissances absolutistes du continent, principalement l’Autriche et la Russie. Sa liaison commencée en 1837 avec la princesse de Lieven, sujette du tsar, prêtait le flanc aux critiques, bien qu’elle n’ait exercé en réalité aucune influence sur sa politique.
3. La politique intérieure
À l’intérieur, Guizot s’efforça de constituer à la Chambre des députés un véritable parti conservateur, inspiré du modèle anglais, sur lequel il pût fermement s’appuyer. En effet longtemps sa majorité fut courte et instable, et il usa pour la consolider de distributions de faveurs et de places qui lui furent vivement reprochées. Seules les élections de 1846 donnèrent pleine satisfaction au cabinet, mais il est vrai que plus d’un tiers des députés sont alors fonctionnaires. Surtout, Guizot refusait obstinément toute proposition de réforme tendant à élargir le corps électoral en abaissant le cens et à interdire le cumul de certaines fonctions publiques avec la députation. Selon lui les institutions issues de la révolution de 1830 étaient encore trop récentes pour être modifiées, elles suffisaient à satisfaire les besoins de la société, essentiellement la liberté et la prospérité, et toute réforme encouragerait l’esprit révolutionnaire si difficile à contenir. S’il n’est pas sûr qu’il ait jamais prononcé la célèbre phrase « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne », il ne l’aurait certainement pas désavouée. De plus en plus impopulaire, le ministre, nommé président du Conseil le 19 septembre 1847, s’enfermait ainsi dans un tête-à-tête avec une majorité confite et un roi vieillissant. Face à ce blocage, une campagne de banquets, lancée en juillet 1847, aboutit, à la surprise de ses promoteurs et en fait de presque tout le monde, à la révolution parisienne du 24 février 1848 et à l’instauration de la République. Guizot dut aussitôt s’exiler avec sa famille à Londres. Sa vie politique était terminée, dans une chute spectaculaire qui effaçait l’importance considérable de son œuvre, parmi laquelle le relèvement de l’âge du travail des enfants et l’organisation générale des chemins de fer.