Dans la nécrologie publiée par le Journal des débats en octobre 1867, Guizot écrit d’Achille de Daunant qu’ « il a été, pendant plus de soixante ans, l’un de mes plus chers, de mes plus intimes et de mes plus fidèles amis. » Ce triple qualificatif, rarement dispensé par Guizot, explique que ce dernier ait inséré cette notice dans ses Mélanges biographiques et littéraires, publiés l’année suivante. Daunant est, avec Barante, le seul ami de Guizot à y figurer. Cette relation remonte au-delà même des deux intéressés, puisque les familles Daunant et Guizot, protestantes et nîmoises de vieille souche, étaient liées avant même leur naissance. Achille est né le 1er janvier 1786, aîné de quatre enfants dont le père fut maire de Nîmes sous l’Empire, et obtint ainsi un titre de baron transmis à son fils. C’est en 1806 que Guizot fit vraiment sa connaissance, partageant avec lui des études de droit que Daunant, lui, poursuivit jusqu’à leur terme, ouvrant la voie à une carrière de magistrat passée tout entière à la cour d’appel de Nîmes, où il fut successivement auditeur, puis conseiller en 1818 et Premier président en 1833. Cette amitié de jeunesse se renforça de liens politiques. Député libéral du Gard de 1827 à 1837, il prit place sous la monarchie de Juillet dans le parti conservateur dont Guizot s’affirmait comme l’un des chefs, et son ami facilita son accession à la chambre des pairs. Il était en outre à la tête du réseau politique et protestant gardois que Guizot entretenait soigneusement. La révolution de 1848 provoqua, pour lui aussi, un retrait définitif des affaires, y compris sa démission de Premier président. Durant ces années, écrit Guizot, « la fondation de la liberté au sein de l’ordre, le respect de tous les droits personnels des hommes en même temps que de tous les pouvoirs légaux, telle a été la pensée dominante de M. de Daunant, la règle constante de sa conduite. » Le malheur aussi les avait rapprochés, puisque Daunant perdit « un fils excellent, déjà magistrat, et sa plus chère espérance », Henri, décédé à 28 ans et dont Guizot avait pris soin de la scolarité à Paris, puis, en 1851 Rose Gardiès son épouse depuis 1813, et vit mourir avant lui ses deux sœurs cadettes Rosalie et Laure de Gasparin. Avec ses filles Pauline de Castelnau et Julie Colomb, Daunant fait partie des invités au Val-Richer, où se cultivaient les liens de famille, et c’est chez lui que loge tout naturellement Guizot lors du mariage de son fils Guillaume à Nîmes en 1860 : « Votre frère est pour moi un vrai frère », écrit alors Guizot à Laure de Daunant-Gasparin. Auteur en 1855 d’un essai sur Saint-Simon et son époque, et d’une étude sur le procès des Templiers en 1863, Daunant, actif à l’académie du Gard dont Guizot est membre depuis 1807 et président honoraire perpétuel en 1859, mène la vie d’un retraité riche, influent et même, paraît-il, populaire, car il était, écrit encore Guizot, « ami des pauvres, patron des faibles », généreux envers l’Église réformée et les établissements de charité. Guizot avait une immense confiance dans la sûreté de son jugement et dans sa totale probité. Le baron Achille de Daunant mourut ainsi dans le respect de tous le 21 septembre 1867. De l’abondante correspondance échangée entre Daunant et Guizot, où se mêlent les questions politiques, les affaires protestantes et les nouvelles familiales, ne sont parvenues jusqu’à présent que des bribes. On lit dans une lettre de Guizot du 2 mai 1860 : « Ma longue vie m’a appris que, de toutes les satisfactions de ce monde, aucune ne vaut celles d’une véritable amitié. Vous m’avez bien pleinement donné celles-là. Je ne vous en remercie pas, mais j’en jouis encore et j’en jouirai tant que Dieu nous laissera ensemble ici-bas. »
A cette amitié exceptionnelle il faut associer, à un degré à peine moindre, celle qu’éprouvait Guizot pour le frère cadet d’Achille, Paradès de Daunant, dont il fit en 1841 un « très bon et très gros préfet » de la Loire. Paradès, né en 1797 et mort la même année que Guizot, avait eu trois filles de son épouse Isaure Delpuech, Pauline, que Guizot aimait particulièrement, Henriette, cette dernière très amie d’Henriette Guizot et morte en 1849, et Marie, emportée par la maladie en 1858, ainsi qu’un fils maladif, Auguste, qui lui faisait peine et qu’il reçut quelquefois à Paris, jusqu’à sa mort précoce en 1863. « J’aime et j’estime vraiment Paradès (…) toujours si bon et si franc », écrivait Guizot à sa sœur Laure.